
«Nous avons privilégié la lumière, la transparence et la fluidité»
Rabat avait également été choisie comme ambassadrice de la campagne mondiale urbaine d’ONU-Habitat pour les villes durables. En 2012, Rabat a lancé son plan communal de développement. Avec in fine l’objectif de faire de la capitale une ville à échelle humaine où il fait bon vivre, éco-compatible, ouverte et compétitive, qui puisse accueillir des sièges de décision, d’institutions internationales, des instituts et des centres de recherche. Une capitale qui tout en préservant son riche patrimoine culturel et naturel s’ouvre au monde par les technologies, la recherche et les transports. Le premier regard porté sur une capitale passe, en effet, par l’aéroport, véritable porte d’entrée de la ville. C’est en janvier 2012 que Rabat a été dotée d’un aéroport moderne digne de son statut de capitale du Royaume ! Au terme de près de quatre années de bruit, de poussière et de contraintes, l’aéroport a multiplié sa superficie par quatre, passant de 4 000 à 16 000 m².
À quoi ressemble aujourd’hui cet aéroport où prédomine la lumière, l’espace, la fluidité et le végétal ? Nous avons posé la question aux deux architectes en charge du projet, Zhor Jaidi, architecte d’intérieur diplômée de l’École supérieure des arts modernes de Paris, maquettiste ayant travaillé aux États-Unis et en Asie et qui dirige son agence de Casablanca, et Miryam Zaz, architecte, diplômée de l’École d’architecture de la Défense de Paris et qui a ouvert son cabinet d’architecte en 1992 à Casablanca. Entretien sur la genèse d’un bel aéroport fait de lumière et d’élégance, avec une identité propre qui ravit le voyageur… En sommes, une œuvre d’art.
Le Matin : Ce projet commence comme un conte. Au début était un aéroport, plutôt exigu et qui accumulait les dysfonctionnements ? Quels étaient justement ces dysfonctionnements ?
Zhor Jaidi et Myriam Zaz : L’édifice présentait des dysfonctionnements liés précisément à l’exiguïté du hall public et de la salle d’embarquement, à l’insuffisance des comptoirs d’enregistrement, au manque de lumière et au déficit de services offerts aux clients. Le nouveau projet devait faire une mise à niveau des installations terminales en augmentant les surfaces de 4 000 à 13 200 m² et en prenant comme parti architectural la représentation de l’histoire de Rabat-Salé et celle du Maroc. Ce que je peux dire, c’est que le grand défaut de l’ancien aéroport était le déficit en lumière qui exigeait l’utilisation de l’éclairage artificiel durant tout le cheminement des passagers. Il y avait également un gaspillage d’espace, le premier étage était, par exemple, essentiellement utilisé pour les services de sécurité, le reste étant à l’abandon. Il y avait le projet d’un restaurant qui est resté sur le papier et l’espace du rez-de-chaussée ne suffisait pas pour répondre aux besoins.
De la rénovation au réaménagement total
Vous êtes alors contactées pour réfléchir au projet, lancé à l’époque par Abdelhanine Benallou, qui avait mis sur pied tout un programme de réaménagement et de construction d’aéroports à travers tout le Royaume ?
Zhor Jaidi : Oui, au départ, M. Benallou (ancien DG de l’ONDA, NDLR) nous avait parlé de rénovation. Il voulait en faire, compte tenu de la capitale, un véritable bijou, mais les dysfonctionnements recensés ne le permettaient pas. Après une réflexion minutieuse, M. Benallou a travaillé avec ses services sur un nouveau programme qui intégrait un agrandissement de l’aéroport.
Myriam Zaz : M. Benallou était en train de développer les aéroports d’Oujda, de Marrakech, d’Agadir et il ne pouvait pas, compte tenu du rayonnement de la capitale, faire un simple réaménagement.
Zhor Jaidi : Pour ne pas handicaper l’aéroport, qui devait continuer à fonctionner, le travail fut planifié en trois temps. Il reste qu’après mure réflexion, il avait décidé de fermer l’aéroport et de le réaménager totalement. Cependant, l’aéroport destiné aux voyages du Hadj avait été maintenu ouvert pour tous les passagers avec tous les services concernés.
Vous insistez beaucoup sur l’aspect lumière. Qu’est-ce qui vous a le plus parlé dans cette «aventure» que vous avez entreprise ? Je dis aventure, car il n’était pas courant de voir deux femmes prendre en charge de tels chantiers ?
Myriam Zaz : L’aventure, c’était de réaliser un espace ouvert transparent et d’avoir le côté ville et le côté piste.
Zhor Jaidi : Notre vrai pari, c’était la clarté. Il fallait remodeler l’espace avec le maximum de luminosité.
Qui a fait les plans ?
Myriam Zaz : Nous les avons faits ensemble, car nous avons toujours travaillé en intelligence collective.
Zhor Jaidi : Sur le principe initial, la réflexion de M. Benallou nous a beaucoup aidées. Ses orientations et son programme nous ont beaucoup aidées, car il nous fallait travailler en osmose l’intérieur et l’extérieur de l’aérogare, avec toujours ce souci de la lumière. Même au plafond, vous avez des puits de lumière qui donnent l’impression de côtoyer le ciel et de profiter de l’environnement avec la forêt avoisinante. Le point fort de ce projet était de faire entrer cette lumière qui donnait une sensation de liberté.
Réduire l’anxiété du voyage
Myriam Zaz : Avec le moins de contraintes pour le passager, car il ne faut pas oublier que chaque voyage comporte sa dose d’anxiété. À partir du moment où vous arrivez au parking et que vous garez votre voiture, que se passe-t-il ? Nous avons pensé étapes par étapes, à tous les moments : traversée de l’esplanade, enregistrement, passage de la douane, de la police, la salle d’embarquement : les zones intérieures semblent ouvertes les unes sur les autres, les plafonds sont personnalisés, les zones sanitaires sont pensées en harmonie avec leur revêtement et avec un éclairage à part…
Zhor Jaidi : Il y avait un point fort, celui de faire prendre conscience au voyageur, le partant ou l’arrivant, qu’il n’était pas seulement dans un aéroport international, mais qu’il était à Rabat. Nous avons beaucoup travaillé sur l’esplanade en reprenant les vestiges et les fameuses colonnes minérales de la Tour Hassan, tout en gardant une très grande liberté de circulation. Nous avons aussi gardé les éléments dits spirituels : l’eau, la pierre, le feu par les moteurs des avions.
Il fallait une harmonie que l’on devait ressentir soit au départ soit à l’arrivée de l’aéroport de Rabat-Salé.
Myriam Zaz : Et ceci, malgré toutes les contraintes. Il fallait marquer l’identité de ce terminal en réussissant l’esplanade, ses colonnes minérales, ses fontaines en pierre taillée, ses zones de circulation confortables et en même temps préserver tous les services administratifs qui, comme vous le savez dans un aéroport, sont nombreux, avec en tête les services de sécurité.
Zhor Jaidi : La contrainte du budget était tout aussi importante. Nous avions un budget de 10 millions de DH au départ avec des réajustements. Avec le changement de direction à L’ONDA, on nous a demandé de reprendre la façade. Il y a eu un nouveau concours et nous avons eu la chance de voir notre projet l’emporter.
Entre tradition et modernité
Myriam Zaz : Nous avions présenté plusieurs propositions, une façade traditionnelle en pierre pour rappeler le Chellah, une façade avec un mur rideau et troisième proposition une façade avec une double peau avec un nouveau matériau de béton fibré qui est le ductal.
En regardant la façade, nous avons l’impression à la fois de modernité et de tradition ?
Zhor Jaidi : Modernité et tradition liées à l’histoire.
Comment s’est déroulé le chantier ?
Myriam Zaz : On nous a fait souvent changer les circuits entre les arrivées, les départs… on a toujours trouvé des solutions avec des doubles passages.
Zhor Jaidi : quand il y a un changement, cela se répercute sur l’ensemble des paliers. Il fallait intégrer ces changements, ce qui nous a parfois retardés.
Un aéroport à échelle humaine
Vous avez travaillé dans l’optique d’un aéroport international, pourtant il y a peu de vols internationaux…
Zhor Jaidi : L’aéroport reste à l’échelle d’une petite capitale, à l’échelle humaine. Nous avons bénéficié du travail de réflexion d’une commission qui s’était penchée sur les ratages observés à l’aéroport de Casablanca.
Myriam Zaz : À l’aéroport de Casablanca, tous les services administratifs ont été gardés en noyau central à l’intérieur du bâtiment, ce qui fait qu’il y a moins de transparence et de fluidité.
Zhor jaidi : C’est un aéroport qui a été travaillé au coup par coup.
Myriam Zaz : À Rabat aussi, nous avons été obligés de travailler au coup par coup, mais nous avons tout mis à nu en ne gardant que les dalles. Nous avons fait les extensions latéralement.
Zhor Jaidi : Cela a été un point fort de notre travail. Nous avons eu beaucoup de contraintes, notamment avec les retombées de poutres qui dépassaient 1,5 mètre et il fallait trouver des solutions qui ne créent pas de dommages à l’ensemble. Nous avons fait un travail de staff très soutenu. Nous n’avons pas de plafond en dalles et cela a été une bataille pour obtenir ce résultat.
Myriam Zaz : Le deuxième étage et très bas, mais grâce aux percées, aux mouvements, nous avons pu cacher les poutres.
Zhor Jaidi : Il y a eu un travail sur la lumière indirecte, pour que cette lumière soit en corrélation avec la lumière naturelle. On a une lumière végétale naturelle dans la journée et cette même lumière revient de manière indirecte le soir. Même si le passager doit rester plusieurs heures, il ne sent pas un changement total, il baigne dans la douceur de l’atmosphère qui permet de réduire cette angoisse du voyage que vous avez évoquée. Il y a eu un travail d’harmonie très intense. Nous avons été dans les détails, jusqu’au sanitaire, où vous avez une lumière indirecte d’une certaine ambiance. Avec le lave-main, les sanitaires ont été déclinés dans les autres aéroports.
Le 22 avril correspond à la Journée de la Terre. Je sais qu’il y a d’autres projets de développement durable et culturel. Quels sont ces projets ?
Zhor Jaidi : À côté de l’aéroport, il y avait un train. M. Benallou souhaitait faire revivre tout cet environnement de l’aéroport. Chaque wagon avait une fonction : salle de jeu, bibliothèque, snack : un ensemble qui devait servir de zone de repos, de paix et de tranquillité pour le visiteur.
Demain, le tram arrivera jusqu’à l’aéroport ?
Myriam Zaz : Il y a déjà la forêt que l’on pourrait aménager pour le bien-être des gens de Rabat et de Salé.
Zhor Jaidi : Des bancs étaient prévus avec un parking, la continuité du projet est souhaitable pour permettre le rêve, celui du voyage en avion, d’aller dans d’autres contrées.
Myriam Zaz : le rêve à portée de regard. Nous l’avions à Casablanca, dans le restaurant où l’on voyait les avions partir et atterrir.
Zhor Jaidi : Nous avons voulu faire rêver les gens également à partir de l’esplanade, sans aller à l’intérieur de l’aéroport. Nous avons installé des bancs, mais ces bancs ont été retirés.
Un mot sur la façade qui est une très belle réussite ?
Zhor Jaidi : La façade a un caractère marocain et pour cela nous n’avons utilisé que des produits locaux : pierre, mosaïque, dalle de pierre. Sa forme d’étoile traditionnelle épurée représente à la fois une idée de modernité tout en rappelant le prestige du Maroc.
Qu’en est-il de la stèle ?
Zhor Jaidi : C’est un bloc en marbre blanc érigé en mémoire du retour du Sultan Mohammed V, qui avait marqué cette période de l’histoire nationale.
Quel était votre souci premier durant ce chantier ?
Zhor Jaidi : Durant toute la période de l’étude et de l’exécution de l’œuvre, mon souci a été celui de m’assurer du bon choix des matériaux pour une pérennité de l’ouvrage, garantie par un facile entretien, et l’utilisation des lieux.
Myriam Zaz : L’aéroport est un symbole des temps modernes, mais celui de Rabat-Salé a aussi une identité, celle du Maroc. Mon souci était d’allier la tradition et la modernité.